26 janvier 2023 – Lettre ouverte – David-Alexandre Grisé, conseiller pour le CDDM –
Christine Caron, une jeune femme de 25 ans s’est suicidée il y a environ 1 mois. La jeune femme diagnostiquée avec un trouble de personnalité limite (TPL) avait demandé de l’aide à plusieurs reprises, mais il semble que celle reçue ou dispensée à l’urgence du Centre hospitalier Anna Laberge de Châteauguay n’a pas répondu au besoin de cette dernière. Pire, sa détresse a été négligée, voire, ridiculisée par un médecin. »Si tu avais voulu te suicider, tu l’aurais déjà fait et tu veux juste faire un show pour attirer l’attention » lui aurait-il dit. Pour nous, à titre d’organisme de défense des droits des personnes vivant avec une problématique en santé mentale, cet unième geste répréhensible se doit d’être interprété à plusieurs niveaux.
Du discours médical et de l’organisation des services en santé mentale
Par-delà cette très mauvaise intervention non thérapeutique, au-delà de pratiques (normalement) automatiques d’évaluation du potentiel du risque suicidaire des personnes se présentant aux urgences, nos observations terrain nous confirment que des approches différenciées existent en fonction de certains diagnostics (de santé mentale) précis dans le réseau de la santé, notamment aux urgences. Le trouble de personnalité limite (TPL) est le diagnostic honteux, difficile à tolérer, souvent perçu comme intraitable par les divers intervenants de plancher. À l’opposé, il fait souvent l’objet de doléances et de difficultés d’accès aux soins et services par ces personnes et les proches qui nous consultent.
Ce trouble de personnalité, comme tous les autres définis par cette catégorisation, ne peut être traité par la voie de la médication selon les études recensées. En clair, il n’y a pas une pilule spécifique pour les troubles de personnalité. On lui associe plusieurs problèmes et conséquences, de la comorbidité, des risques et des peines importants pour les personnes qui en sont diagnostiquées. De plus, il semble qu’elles sollicitent beaucoup les ressources (trop limitées) du réseau[1]… Une étude de l’INSPQ nous le confirme. La même étude nous dévoile que la cause la plus importante de décès des personnes reconnues par un TP est justement le suicide (20,4%). Pour ces personnes diagnostiquées, les approches psychologiques sont préconisées et trouvent de bons débouchés. La principale posture clinique établie vise surtout à responsabiliser, à initier le changement chez la personne tout en établissant des alliances thérapeutiques (sic). Tristement, les comportements typés comme instables, intenses et émotifs des personnes diagnostiquées avec un TPL semblent être à la source d’une stigmatisation du personnel qui induit des perceptions et de mauvaises interprétations cliniques de ces derniers. Il faut l’admettre.
Un des principaux constats émergeant du grand nombre de suicides des derniers mois tient à ceci : des personnes souffrent psychiquement et vont chercher de l’aide là ou intuitivement elles s’attendent à la recevoir. À l’hôpital. Et la déception est significative! Nous devons soulever aux lecteurs, aux décideurs et aux gestionnaires que l’hôpital, ce haut lieu et ce château fort de l’approche biomédicale, des problèmes chroniques et de la réponse-médicale-prescrite-en-canne, ne peut et ne pourra jamais suffire à la détresse psychique et à la souffrance de toute une société. Sociologiquement, nous en sommes à ce lieu commun, nous souffrons tous. Les problèmes et leurs solutions ne sont pas quantitatifs, ils sont qualitatifs.
Christine Caron est demeurée quelques jours à l’urgence du centre hospitalier. On lui a probablement proposé un calmant ou deux. On a probablement évalué si elle représentait un danger pour elle-même. Selon ses propres dires, elle a surtout été laissée à elle-même quelques jours dans une pièce contiguë à l’urgence. Elle disait se sentir prisonnière. Elle, comme d’autres l’ont témoigné récemment!
La souffrance, comme nouveau fait social déterminant de nos sociétés (pré-post-hyper) modernes, est soumise à un système de santé en manque cruel de diversité, de liens pratiques vers ses communautés et peut-être… d’écoute! Il manque certainement du temps (trop contraint à la performance), de la diversité au niveau des types d’aide (surtout psychosociale). La déshospitalisation, la prévention, le soutien et l’aide précoce dans la communauté sont et seront les réponses nécessaires à des besoins infinis et à juste titre (psycho) sociaux. Une part de ce problème tient aussi du fait que « le concept médical obscurcit la diversité des problèmes et des expériences qui sont rassemblées sous le label d’un nom de maladie. Le concept médical (…) obscurcit la diversité des problèmes et des expériences qui en viennent à être ainsi étiquetés, et que les explications et interventions sociales ont été sous-évaluées »[2].
L’article 5 de la Loi sur les services de Santé et Services sociaux nous évoque que nous avons le droit de recevoir des soins de santé et des services sociaux adéquats sur le plan scientifique, social et peut-être encore plus important, humain. Il nous faut préparer la démédicalisation de nos souffrances psychiques. Nous devons réapprendre la résilience et fonder les conditions sociales (politiques et économiques) de sa réémergence. Il nous faut de nouvelles mœurs et habitudes lorsqu’on aura besoin d’aide. D’autres milieux, surtout d’autres moyens, sont nécessaires pour prendre en compte nos souffrances individuelles. Dès lors, on pourra évoquer un réel droit à la Santé. Sans vouloir instrumentaliser sa parole, nous vous laissons ici avec les mots de Christine : « Je suis venue ici de mon plein gré, car mes idées noires étaient devenues insupportables. J’espère que tout changera dans le futur pour toutes les Christine dans le futur, pour toutes les Christine de ce monde qui ont des idées noires et qui veulent juste se faire aider ».
[1] Surveillance des troubles de la personnalité au Québec : prévalence, mortalité et profil d’utilisation des services, Institut Nationale de Santé Publique du Québec, ISBN 978-2-550-73192-4, mai 2015.
[2]Do antidepressants cure or create abnormal brain states? J. Moncrieff, D. Cohen, PLOS Medicine, juin 2006.
Une réponse
Oh mon dieu, mais pourquoi je ne connaissais ça avant… vivant moi même avec des diagnostics et des enjeux importants en santé mentale. Cette histoire de Christine je l’avais entendu comme beaucoup de gens aux nouvelles. Mais de lire ça ce soir ça me touche énormément. De connaître cette organisation me fait sentir beaucoup moins seule tout a coup avec tout ce que j’ai vécue dans les hôpitaux du Québec et plus spécialement il y a 8 ans quand j’ai donné naissance à ma fille. J’espère vraiment que les choses vont évoluer en santé mentale et que les ressources seront accessibles et efficaces.